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samedi 4 juillet 2009

Suite de Éclat d’ombre



Alors le vieillard après un instant d’égarement et d'hésitation regarda sa propre ombre et dit :
« Où est ce cimetière d’ombre, ce gouffre obscur, ce puits sans fond dont tu m’as conté l’histoire que je puisse me débarrasser de ma vieille ombre trainante et agonisante. Car vois-tu, tu as comme réveillé une nouvelle ombre en moi qui s’agite et ne demande qu’à prendre place et naître de la belle mort de la précédente. Je me sens rajeunir étranger, alors je t’en prie, dis-moi où est cet endroit que j’y cours au plus vite. »
« Regardez cette crête au loin vieil homme, j’en viens, grimpez-y et vous découvrirez le gouffre s’étendre au bas de son flanc, mais veillez à n’y laisser que votre vieille ombre et à ne pas y tomber vous-même dedans. »
« Que dis-tu étranger, mentirais-tu à un vieillard ? Je connais cette crête et je connais tous les endroits alentours car j'y suis né et il y a bien longtemps. Il n’y a aucun gouffre dans ces contrées et aucun homme d’ici n’en a relaté l’existence. »
« Depuis quand connaissez-vous cette crête vieil homme, quand vous y êtes-vous rendu pour la dernière fois, mettrez-vous ma parole en doute ? Il y a deux jours un gouffre s’y trouvait et j’y étais. »
« Et bien soit, je m’y rendrai cette nuit et si ton histoire n’est point vraie prends garde, tous les gens d’ici railleront de toi et tu n’auras plus qu’à déguerpir. »
« Pour vous prouver ma bonne foi je vous attendrai ici même, et je vous confie cette lanterne et mon chien qui vous conduira, car avec lui je suis sûr que vous reviendrez. »
Le vieillard partit alors, boitant et bougonnant dans la nuit sombre, guidé par un chien et à la lueur d’une lanterne tenue au bout d’un bâton.
« Ombre, oh ! ma vieille ombre, dit-il, comme je suis triste en ce jour mais heureux à la fois, car je vais te laisser brave compagne de ma vie et si je ne peux te laisser alors c’est moi que je laisserais là-haut. Vois, mes derniers jours sont proches mais une dernière mission m’est confiée. Si l’étranger dit vrai, une seconde jeunesse m’attend là-haut, mais à présent je souffle car le chemin m’est pénible et je souffre car mon corps me fait mal et toi mon ombre tu as toujours demeuré à mes côtés, cependant, une autre que toi plus solide et plus grande me tend les bras, comment refuser, me le pardonneras-tu ô mon ombre ? Et je te laisserai dans un gouffre froid et sinistre, y trouveras-tu ton compte ou m’en voudras-tu pour l’éternité ô mon ombre ? Mais me voici, j’arrive, m’élançant avec fermeté vers ma destinée. »
Ansi le vieux parla jusqu’à l’aurore, marchant avec hâte sur le sentier montagneux. Puis enfin arrivé au sommet de la crête, il put constater que l’étranger disait vrai.
« Alors voilà d’où vient cette plainte sourde et sinistre martelant la nuit, montant des entrailles de la terre, un terrible mugissement en vérité, celui des ombres qui se meurent, abandonnées et que personne ne veut. Allons mon ami, courage ! quant à toi mon ombre, je suis sûr que tu y trouveras une bonne âme, tu n’es pas encore si mal et moi-même, j’éprouve maintes difficultés à me débarrasser de toi. »
Et c’est avec regret et non sans un dernier mot d’adieu que le vieillard se sépara de sa vieille ombre. Une grande peine s’installa quand l’ombre doucement descendit dans les profondeurs regardant le vieil homme d’un air abattu et il en fut si triste qu’une larme coula sur sa joue.
« Adieu mon passé, dit-il. »
Mais soudain, une chose étrange se produisit. Le vieillard remarqua qu’il n’avait plus d’ombre ou plutôt, que cette ombre n’était plus une ombre mais sa propre silhouette se répandant en une forme nette, claire et lumineuse à ses pieds. Il devint si léger que son corps quitta le sol et lentement il s'éleva vers les cieux. Pris de panique, le vieux accrocha sa barbe de justesse à la dernière branche d’un arbre, y fit un nœud et implora de l’aide. Le chien alors courut dans la vallée avertir son maître.

« Vieil homme qu’avez-vous fait ? Avez-vous jeté votre ombre alors que vous n’en possédiez pas de nouvelle ? Vieil homme que pensez-vous qu’il vous soit arrivé ? Vous avez revêtu l’ombre d’un ange ! voila ce qu’il vous est arrivé. Votre parcours est fini, il vous faut vous détacher, je ne peux vous venir en aide, personne ne peut plus vous venir en aide. »
« Mais enfin, je suis encore en vie, ma vieille ombre celle qui me relie toujours à ce monde se trouve dans ce trou, peut-être puis-je encore la récupérer, aide-moi ! »
« Seule la peur vous fige, détachez-vous de cette peur, détachez-vous de cet arbre. Ne vous sentez-vous pas léger à présent, libre de la pesanteur, libre du poids du monde, des ombres noires, libre de l’effet humain ? N’avez-vous pas envie d’aspirer plus haut, parmi les anges et non plus parmi les hommes ? Votre âme est prête vieil homme, laissez votre corps la rejoindre. »
« Très bien étranger je le ferai, mais d’abord j’ai un dernier vœux à exaucer ici-bas. »
Le vieillard ayant expliqué la chose, se trouva marchant à cinq nuits d’ici, portant sur son dos un sac de pierres. Ainsi lesté, il parcourut de grandes étendues avec un souffle nouveau et la santé d’un jeune homme afin d'aller déterrer un coffret destiné à sa descendance. Personne ne le vit ce soir là. Aux maisons, il y resta quelques guirlandes de fêtes passées et lui, il quitta son sac de cailloux et le posa au sol. L’ombre de l’ange eut ainsi dicté la dernière marche de l’homme.

« Ce gouffre autrefois n'y était pas, est-ce vous qui l'avez créé ?
Vous baladez-vous tous avec votre cimetière d'ombres ?
Abandonnez-les ! Comme l'a fait avant moi celui que j'ai rencontré. »

Telles furent les dernières paroles du vieillard s'adressant aux hommes du haut de sa dernière montagne. Et sa nouvelle ombre lui montra le chemin.


1 Comment:

  1. stevie lili a écrit...
    je sors de l'ombre ... me voici de retour sur les ondes !
    :)

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