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vendredi 3 juillet 2009


Ton ombre vint imiter la mienne, déguisée en un autre moi que je ne crus plus jamais rencontrer. Me suis-je fait surprendre au début que je la saluai comme un vieil ami, ou plutôt, comme à un autre aspect de moi-même que j’ignorai et qui demeura l’énigme d’une nuit entière, mais voilà que son aspect changeant éveilla certaines méfiances dans le crépuscule marchant à mes côtés sur les sentiers de la grande quiétude.
« Cette ombre n’est pas mienne, me suis-je écrié. Qui donc suit mes pas, obscurcissant ma propre ombre et parlant à sa place ? Voila que tout s’éclaire et apparaît comme sous la lumière d’un flambeau, vieille sournoise, inconnue se glissant à bord de radeaux filants pesant sur leur embarcation, à qui appartiens-tu ? »
Et le crépuscule de répondre :
« Cette ombre appartient à celui qui hier est mort en toi. Cette ombre était ta folie perdue s’étant sauvée dans les mondes fous des rondes, des toupies dégénérées et de tout ce qui tourne en vain pour revenir à son début plus vide encore qu’à son départ. Cette ombre-ci, était celle qui dirigeait ta vie, aveugle aux appels du cœur et des senteurs paisibles des inspirations nouvelles. A présent, vois comme tu lui marches dessus sans remords, mais vois aussi comme elle continue de t’amadouer. N’aie plus aucune pitié pour elle, elle est morte mais dans sa mort elle continue de te suivre. Désormais, nous deux savons bien que c’est toi qui lui dictes l’instant et même l’avenir, mais prends garde lorsque tu es assoupi car les ombres nous envahissent, et entre ta nouvelle et ton ancienne ombre un rude combat s’est engagé. »
« Ô crépuscule de ma jeunesse, ô vieil ami de mes jours futurs, tes conseils sont bienvenus et plus clairs encore lorsque tu t’éteins pour reposer tout près sur l’herbe de la nuit. Mes doutes se voient maintenant confirmés, moi ainsi que ma nouvelle ombre nous nous battrons même dans nos rêves, et je lui laisse les siens, ses rêves d’ombre et ses batailles d’ombres, car j’ai les miens et les miens me suffisent, mais je lui prêterai main-forte et veillerai à ce qu’elle ne soit écrasée par aucun soleil espiègle et sournois à cette seule ombre qui est mienne et qui me suivra même dans la nuit, la seule obscurité de moi-même que j’autorise. »
Entendant cela le crépuscule se mit à sourire et la seconde ombre à se cacher derrière les recoins sombres de la première.
« Alors comme ça, il reste une part d’ombre à affranchir, que dis-je, une ombre entière, un abcès, une verrue rampante et ratatinée, sors de là misérable que tu es, pourquoi restes-tu cramponnée à moi, étriquée comme une feuille entre deux pages, t’es-tu perdue dis, ne sais-tu pas où aller à présent ? Vois-tu je n’ai plus besoin de toi, je suis libéré de tes soucis d’ombre, de tes besoins d’ombre car regarde et contemple ma nouvelle ombre, mon nouveau détachement, ses traits sont plus nets, son aspect plus profond, ma nouvelle ombre aspire à remplir les abîmes et son œuvre a déjà commencé et toi, tu n’es plus le reflet que d’un vent fané, tu n’as plus de raison d’être, à part si je ne me trompe, pour m’apprendre une dernière chose car personne n’a besoin de deux ombres. Alors parle je t’écoute une dernière fois, mais ne t’avises pas de me tenter ou je te tuerai. »
Alors l’ombre gémit et se blottit au pied de celui qui fut jadis son maître, et dans la noirceur de son spectre, deux yeux larmoyants apparurent.
« Amant, ami et compagnon tu as été, dit l’ombre, je n’ai rien d’autre pour ma défense que de te rappeler ce que nous avons vécu… »
« Tu étais nourrie par mes pensées anciennes », dis-je en lui coupant la parole.
« Alors si tu as pitié pour ton ancien toi, aie pitié de moi, ombre de cet ancien toi. »
« Justement, tu trouveras un meilleur destin dans ce gouffre que tu vois là-bas, plutôt que de me suivre car nous n’avons plus les mêmes idées, vois comme tu t’accroches même à ce que tu n’aimes plus, tu es répugnante en cela, tu préfères souffrir plutôt que de te retrouver seule, tu refuses une quelconque transformation et te plais dans tes vices et vertus fétides. Loin de moi vomisseuse d’enfantillage, trouves-toi quelqu’un de ta taille, de ton niveau et cherches justement dans ce gouffre-ci, car c’est dans ce genre de précipice obscur, qu’aiment à se mortifier ceux de ton espèce et il se pourrait bien que quelques uns y cherchent leur ombre. »

Et voila que l’on me dit plus tard : « Votre ombre est comme votre double, plus claire encore pendant la nuit. Elle se dessine selon vos aspirations et pensées profondes. Un guide, votre guide ne serait-elle pas devenue ? »
« Vieillard comme vous voyez bien même dans le grand brouhaha de cette taverne lugubre mais sortons plutôt, j’ai à vous montrer. »
Les deux hommes sortirent dans la nuit sans lune et le vieillard put contempler que ce n’était pas l’homme qui parlait mais l’ombre, que ce n’était pas l’homme qui marchait devant mais l’ombre. Il comprit qu’il avait affaire à celui qui suit son ombre comme une ombre, mieux qu’une ombre. Son ombre était devenue le meilleur reflet de lui-même, et l’ombre savait déjà tout de ce que l’homme lui enseignait.
« Voulez-vous savoir pourquoi vieil homme, voulez-vous connaître le secret ? Regardez cette ombre et apprenez que c’est une ombre de Lumière, elle est autonome et j'ai autant confiance en elle qu'en moi-même. »
C'est ainsi que l’ombre causa, car en vérité, quand l'ombre de Lumière parle, l'homme se tait, non parce qu’il ne veuille pas prendre la parole mais parce qu’il ne peut qu’écouter.

Seconde partie : Des anges et des ombres



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