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dimanche 17 février 2008


Un matin, deux semaines après, l’homme devant le miroir se rase la moitié gauche de son visage. Il trempe son rasoir dans l’eau chaude et commence par le haut de la pommette et descend jusqu’au bas de son cou. L’homme ne se coupe pas. L’homme s’essuie, enfile une chemise, prend les clefs de sa voiture sur le rebord du meuble de l’entrée et ferme la porte.
L’homme allume le chauffage dans sa voiture et attend. L’homme met la main dans sa poche et retire un téléphone, il compose un numéro. Le voisin qui ouvre à l’instant ses volets le voit à travers la buée de la vitre avant de la voiture, regardant quelque chose dans sa main. Le voisin laisse la fenêtre ouverte et disparaît. Le téléphone sonne occupé, l’homme démarre et s’en va en direction de la zone industrielle en allumant le poste de radio sur les informations.
Il est 7 :15 quand la femme se réveille, et trois secondes de plus quand elle sort un bras de sous sa couverture pour éteindre le réveil.
Il est 7 :18 quand elle se lève, qu’elle entre dans la salle de bain, s’enferme et allume le chauffage.
Il est 7 :38 quand elle en sort habillée, maquillée et coiffée. La femme part en direction de la cuisine et se prépare une tasse de thé. La théière et la femme fument dans la cuisine et attendent. La femme se lève, se sert, se rassoit, boit une gorgée puis se lève de nouveau et se dirige au salon sa tasse à la main où elle s’installe au bord du canapé. Elle pose sa tasse et vérifie le courrier de la veille. La femme note un numéro de téléphone et finit son thé.
Une fois le thé fini, la femme place la tasse sur la tranche conservée en équilibre avec le bout de son index et de l’autre main, le majeur recroquevillé sous le pouce, elle donne une chiquenaude sur le bord de la tasse. La tasse tourne comme une toupie. Se réduisant peu à peu, la force de rotation entraîne la tasse à terminer ses ondulations sur le dos. La femme la saisit dans sa main gauche et ouvre la fenêtre du salon de la main droite. La femme se met de côté en face de la fenêtre, l’épaule gauche en avant et la tasse derrière le corps, elle lance d’un coup la tasse comme un frisbee.
Il est 7 :52 quand la tasse sort part la fenêtre du salon et que la femme s’apprête à sortir de la maison. La tasse fait un tour du pâté de maisons et s’assure que la femme a convenablement quitté les lieux, puis elle s’en va en direction de la zone industrielle et croise 5 chiens errants.
Il est 7 :55 quand l’homme arrive à son travail. L’homme donne 3 poignées de main, puis 2 autres un peu plus loin. Il entre ensuite dans le vestiaire, ouvre son casier, prend une feuille, dépose un carnet et le referme. Il ressort du vestiaire, part contrôler le niveau d’huile de son camion et se dirige vers l’intérieur de l’entrepôt. L’homme croise un autre homme. Cet homme est plus âgé. Cet homme est le destinataire du coup de fil de ce matin. Son téléphone sonnait occupé car son téléphone essayait au même moment de joindre celui qui l’appelait.
L’homme après s’être entretenu avec cet autre homme plus âgé, monte dans son camion et part faire la tournée de ses clients du jour.
Il est 8 :07 quand le camion de l’homme et la tasse se croise à l’angle d’une rue. L’homme reconnaît la tasse et c’est la stupeur, quelque chose va arriver. La tasse fait plusieurs fois le tour du camion qui continue de rouler. La tasse semble vouloir lui faire prendre une direction opposée mais la conscience professionnelle de l’homme s’en écarte et suit sa route sans en changer le moindre itinéraire. La tasse se décide à partir.
Le reste du temps l’homme est emprunt aux doutes, il n’a pas la tête à ce qu’il fait et décide de rentrer chez lui pour l’heure du repas. La fenêtre du salon est encore ouverte, sur la petite table se trouve la soucoupe d’une tasse et un sachet de thé éventré.
Il est 12 :18 quand la tasse surgit de la fenêtre et vient se poser en tournant encore un peu à côté de la soucoupe. L’homme sans hésiter une seconde se dirige dans la cuisine et se prépare une tasse de thé.
Il est 12 :24 quand l’homme ayant bu son thé se dirige à son bureau et avec le même processus envoie la tasse par la fenêtre. L’homme saute dans sa voiture et suit la tasse.
La tasse le mène vers le lieu de travail de la femme et la tasse s’arrête. Sur la route, un accident. Dans l’accident, la voiture de la femme. Dans la voiture, plus de femme. L’homme court alors à l’hôpital le plus proche. La femme n’est pas morte sur le coup, elle a attendu jusqu’à 11 :07. L’homme erre et rentre chez lui. L’homme téléphone à son travail, il ne sait pas si il viendra demain, ou après-demain, on lui donne une semaine de congé.
L’homme à cet instant aimerait être du thé.


1 Comment:

  1. reading_is_dangerous a écrit...
    // se rase la moitié gauche de son visage.//
    C’est déjà saisissant.

    //L’homme ne se coupe pas.//
    On ne sait pas s’il s’est rasé ou non la moitié droite.

    //s’en va en direction de la zone industrielle//
    LA zone industrielle. Laquelle? C’est bien mystérieux!

    //elle sort un bras de sous sa couverture//
    Comme un serpent!

    //elle entre dans la salle de bain, s’enferme et allume le chauffage.//
    C’est une “aimeuse” de la salle de bain!

    //La théière et la femme fument dans la cuisine//
    Comme deux bonnes copines le feraient.

    // place la tasse sur la tranche conservée en équilibre//
    Excellent – on anticipe avec joie ce qui va ce passer.

    //La tasse fait un tour du pâté de maisons et s’assure que//
    Nous revoici plongé en plein surréalisme… bravo!

    //Il est 7 :55 quand l’homme arrive à son travail. L’homme donne 3 poignées de main, puis 2 autres un peu plus loin.//
    Ce côté maniaque – mais l’univers est ainsi fait.

    //L’homme reconnaît la tasse et c’est la stupeur//
    On dirait un tableau de Magritte.

    //La tasse se décide à partir.//
    Faudrait l’interviewer à ce sujet.

    //La fenêtre du salon est encore ouverte,//
    Cela donne envie d’y passer en courrant sur les murs comme un lézard.

    //un sachet de thé éventré.//
    Ce terrible détail…

    //Dans la voiture, plus de femme.//
    On comprend tout le drame.

    //La femme n’est pas morte sur le coup, elle a attendu jusqu’à 11 :07.//
    Bravo! C’est une excellente idée de sa part, et courageuse.

    //on lui donne une semaine de congé.//
    On prend congé de lui. Une semaine de congé : Voilà ce que valait sa femme dans ce contexte là.
    Autrement, on lui aurait donné un après-midi, ou trois minutes ou une année.

    //L’homme à cet instant aimerait être du thé.//
    Et moi, l’arbre à thé pour qu’à neuf heure dix-sept du matin, une jolie femme vienne cueillir mes feuilles en les pinçant du bout des doigts.

    Beau texte!

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