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lundi 18 février 2008


Voilà deux ans qu’aucun thé n’a été bu, qu’aucune tasse n’a tourné. Voilà deux ans qu’il n’y a plus eu de programmes, deux ans que l’homme est seul, deux ans encore que cet homme est plongé dans la lecture. Tous les soirs des centaines de pages sont lues, des dizaines de bouquins trônent sur son bureau, mais l’homme ne rêve plus. L’homme est fatigué de mal dormir, cependant l’homme travaille bien et obtient une augmentation. L’homme se donne corps et âme à ses activités, écartant et oubliant le reste, même lui. L’homme a l’air solide mais l’homme a peur de penser à sa solitude et n’y pense pas.
Il est 19 :42 quand l’homme ce soir là se retrouve devant son assiette, devant sa côte de bœuf, son pâté, son pain et son livre disposé à droite de ses couverts. Puis quand il termine de dîner, l'homme reste une heure ou deux à continuer sa lecture dans l’éclairage vide de la cuisine, avant de poursuivre sur le canapé du salon ou dans son lit et de s’endormir.
Quelques temps passent, deux semaines pour être plus exact et c’est dans un petit commerce en bas de la rue voisine que l’homme connaîtra ce qui s’apparente à un changement radical, un bouleversement futur dans ses habitudes et sa vie.
L’homme chaque samedi matin part acheter pour la contenance de deux sacs à provisions. Avant de mettre les achats dans des sacs, ceux-ci sont baladés dans un chariot à roulettes le temps de choisir et de passer à la caisse. Au bout de l’allée de produits pour salle de bain, une femme, au bout de cette même allée l’homme. A chaque bout de cette allée, l’homme et la femme choisissent un shampoing et un savon, un nettoyant à maquillage et des gants de toilette assortis. L’homme et la femme se rapprochent du centre de l’allée sans quitter le rayon des yeux et c’est la femme qui, par un geste d’étourderie, et en plaçant un achat dans le chariot de l’homme, cause le chamboulement inaperçu pour leurs deux existences. L’homme et la femme n’ont rien distingué de particulier, ils se font un signe de politesse et continuent chacun de leur côté.
Il est 10 :22 quand l’homme passe à la caisse et remarque un produit qui n’est pas le sien. Il se retourne, cherche la femme du regard et paye l’ensemble.
Il est 10 :26 quand l’homme attend à la sortie du magasin la femme ayant égaré son produit et deux minutes se sont écoulées quand la femme en sort, se dirige vers l’homme et commence à discuter.
Il est 10 :37 quand l’homme et la femme se quittent, montent dans leur voiture respective et rentrent chez eux.
Une semaine plus tard, l’homme retourne à ce même magasin dans l’espoir incertain d’y recroiser la femme, mais la femme n’y est pas ou arrive trop tard et voit la voiture de l’homme s'enfuir. Tout son week-end l’homme le passe à lire. Tout le reste de la semaine l'homme le passe à travailler.
Le samedi d’après, l’homme et la femme se rencontrent au croisement de l'allée fruits et légumes et celle menant à la poissonnerie. L’homme ne sait pas ce qu’il lui arrive et sent son cœur s'emballer mais l'homme garde son calme. L’homme et la femme font les courses ensemble puis regagnent leur domicile et 3 jours brûlent.
Il est 20 :12 ce mardi soir quand la femme téléphone à l’homme.
Il est 20 :17 ce même mardi soir quand l’homme se décide à poser son livre.
Il est 21 :04 quand l’homme et la femme jugent bon de se souhaiter bonne soirée et de raccrocher.
L’homme après cette conversation, ne lit pas. L’homme ce soir là se dirige à la cuisine où il retire un tabouret de sous la table et le place devant les étagères. L’homme grimpe sur le tabouret et se saisit d’un carton niché au-dessus des étagères. L’homme ouvre le carton et défait du papier un ensemble de tasses et soucoupes de thé. L’homme à ces moments s'incite à reboire du thé et l'homme y parvient.
Il est 21 :28 quand l’homme ayant fini son thé, place la tasse sur la tranche conservée en équilibre avec le bout de son index et de l’autre main, le majeur recroquevillé sous le pouce, il donne une chiquenaude sur le bord de la tasse. La tasse tourne sur elle même et dessine quelques boucles. La force de rotation entraîne la tasse à terminer ses ondulations sur le ventre. L’homme la saisit dans sa main droite et ouvre la fenêtre de son bureau de la main gauche. L’homme se met de côté en face de la fenêtre, l’épaule droite en avant et la tasse derrière le corps, il lance d’un coup la tasse comme un frisbee. L’homme s’installe dans son canapé et visionne le programme.
L’homme revoit des instants du passé, sa femme, leur vie d’avant et l’accident.
Il est 22 :34 quand la tasse rentre par la même fenêtre. Il est cette même heure quand il n'y a plus de programme et que l’homme part se coucher.
Alors l’homme cette nuit rêve profondément, il rêve d’être du thé, il rêve de sauver celle qu’il aimait auparavant.


1 Comment:

  1. Mireille Noël a écrit...
    Il est 17:26.

    Une tasse de thé traverse l'esprit d'une femme lisant l'étiquette d'un sachet de thé, devant un charriot d'épicerie.

    Il est 18:00...

    Une tasse de thé se brise sur la table de lecture d'un homme...

    Il est 18:03...

    Le téléphone sonne...

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